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Où ont disparu nos intellectuels? De Driss Benali.
Traduit de l'arabe par Hanane TAOUDI.
Le terme "intellectuels" ne réfère pas seulement aux penseurs et aux écrivains contribuant à l'amélioration du niveau de la connaissance et à la réduction du taux de l'ignorance; il peut être attribué, également, à toute personne apte à intervenir dans le débat public et à militer, pour ce faire, en mettant réputation et idées qui, lui sont propres, au service de sa propre société, œuvrant, ainsi, pour le triomphe des causes justes, au détriment de ses intérêts propres. Bref, les intellectuels ne sont plus pareils aux opportunistes.
Les intellectuels sont devenus, hélas, d'une rareté frappante dans notre société. Cela incombe à l'absence de leur engagement à s'impliquer aux sujets sociétaux et politiques portant sur l'avenir du pays. Ce manque donne place, en parallèle, à l'émergence des opportunistes, des écritures salariées, des illusionnistes et des démagogues populistes. Or, nombreuses sont les questions qui méritent être discutées et défendues. Ainsi, à notre époque, et en l'éclipse quasiment totale des formes traditionnelles de solidarité, l'engagement de ces intellectuels demeure-t-il prépondérant face à l'irruption de l'égocentrisme et de l'injustice qui a atteint son haut degré. Comme le signale Victor Hugo "Il est temps que les hommes de l’action prennent leur place derrière et les hommes de l’idée devant".
En revanche, les intellectuels se trouvent envisagés par trois obstacles majeurs: De prime abord, l'autorité, celle qui voit en eux des personnes détruites par leurs propres idées. S'ils sont intéressés par un sujet donné, le système de ce dernier risque d'être mis en danger. Ensuite, les technocrates, qui dénient l'existence d'une réflexion ou d'une pensée pareille à la leur, à tel point qu'ils refusent toute discussion à ce sujet. Enfin, les populistes qui récusent la raison afin de s'emparer du peuple par le recours aux émotions.
S'il est remarquable que l'intellectuel n'est pas accepté, c'est qu'il n'est pas nécessairement vu, un penseur autonome apte à dénoncer les inepties de la société ainsi que ses injustices irrationnelles. Le pire encore, qu'il n'est considéré qu'un simple individu œuvrant loin de la foule et se hâtant pour octroyer des concessions auprès des autorités. En d'autres termes, à priori, c'est l'intellectuel, lui-même qui vise à évincer la culture quant à l'instauration de son autorité au sein de la société. Raison de plus, pour comprendre mieux que l'intention de ceux qui visent à écarter toute critique et à refuser tout droit à la différence, outre à empêcher toute liberté d'expression, créent un danger menaçant le système général.
Or, l'intention à garder la "distance" n'est pas tributaire du fait d'accéder aux élections, mais en fonction du modèle qu'il va octroyer à la société, suite à son comportement adéquat. Ce dont serait la preuve du rejet de toute forme de soumission afin de revendiquer et de défendre pertinemment sa liberté et son autonomie. Hélas, c'est cela qui fait de lui un dévastateur du point de vue de ceux qui considèrent que les populations ne sont qu'un ensemble d'individus facilement manipulables et contrôlables.
Faire taire l'intellectuel est bel et bien étudié; soit en le substituant ou en le poussant à garder une certaine neutralité à l'égard des sujets sociétaux. Ce comportement est fort bien familier à l'autorité. Elle ne cesse, en premier lieu, de leurrer ces intellectuels afin de les réprimer enfin du compte. Le succès de cette stratégie est déterminé par la sensibilité de bon nombre d'intellectuels à l'égard de l'autorité. Quant aux autres, qui n'ont pas pu résister aux signes "avant-coureurs" du pouvoir, désormais jouissent tranquillement, du confort auprès de ladite autorité dont ils dénonçaient les inepties auparavant.
A vrai dire, les intellectuels marocains ne sont pas à l'abri de l'opportunisme, surtout, ceux à qui le régime accorde des rétributions en contrepartie de leur collaboration et de leur sacrifice régulier pour le pouvoir. Ce dont leur autonomie est significative. Nullement doute, ce qui démontre que certains sont proches du pouvoir. Dès lors, serait-il possible d'attribuer l'idée de trahison à ce type de comportement, au détriment de la mission noble de tout intellectuel?
Nombreux sont les facteurs qui ont contribué à évincer l'intellectuel marocain du terrain. Il s'agit principalement de l'émergence des mouvements religieux quasiment populistes qui exercent un véritable terrorisme intellectuel sur la masse et réduisent leurs débats à une simple confrontation idéologique médiévale (provenant du Moyen Âge).
Ces mouvements ont profité du règne de la pauvreté, de l'inégalité mais aussi de l'ignorance persistante au sein de la population, afin de pouvoir imposer leur hégémonie sur le plan politique et paralyser tout esprit critique en le substituant par et les croyances et les cultes. En aucun cas, l'ouverture sur l'autre ni la reconnaissance de diversité ou de pluralité ni même de liberté est permise. Il s'agit, donc, de la tyrannie de la collectivité sur l'individu. Il demeure privé de liberté de choix. Ce qui conduit à la quête du triomphe des traditions. L'intellectuel demeure, en ce sens, orphelin dans sa propre nation. Son discours ne peut, plus frayer son chemin au sein de la société. Ses œuvres perdront, ainsi, de leur valeur.
Il est vrai que le printemps arabe a fait une rupture avec la marginalisation de l'intellectuel en lui donnant la parole à propager. Alors que dorénavant, il est entravé quant à la requête de son rôle pendant les premières décennies de l'indépendance. En l'occurrence, les populistes et les obscurantistes ont gagné le terrain au moment où le courant conservateur et irrationnel domine une grande partie de la masse. Dans cette perspective, les intellectuels dont certains sont passés à la trappe, s'avèrent incapables d'attirer l'attention des masses. Et voilà, que nos intellectuels sont partis quand les islamistes et les populistes ont gagné le terrain.
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